Marie Fortuit, Rachel de Dardel und Floriane Comméléran: Ombre (Eurydice Parle)

für den Nachwuchsworkshop 2022

Depuis le Royaume des Morts où la morsure d’un serpent l’a conduite et où Orphée l’a condamnée à vivre, il s’agit d’écouter Eurydice donc. Ecouter la voix, la profération, l’incantation que lui prodigue l’écriture vibrante de Jelinek. Prêter oreille à son souffle de femme paradoxalement enfin libérée d’un amour pour Orphée qui s’avère aussi astreignant qu’éreintant, l’observer commencer une vie dans l’ombre, une existence qui est de façon radicale une existence nouvelle. Envisager sa descente aux enfers comme une éclatante libération, l’émancipation incontestée d’une parole créatrice et féministe, assister à la (re)naissance d’une poétesse.
Qu’on se le dise, chez Jelinek, Eurydice était loin d’être heureuse avec Orphée. Elle était assujettie à une vision édulcorée et patriarcale de l’amour romantique, arrimée à son apparence terrestre et à ses fringales de shopping, dévouée à l’avènement du génie masculin de son sérial-rockeur d’amant. Dépouillée de tout, étrangement soulagée de laisser Orphée remonter vers les lumières des villes et des scènes, Eurydice peut alors s’autoriser le luxe de ne plus être que « rien » et donc d’affirmer « je suis ». Assertion bouleversante qui est au coeur de mon geste de mise en scène. Il s’agit pour moi d’inverser le topos de la complainte de l’éternelle abandonnée, de prendre à rebours le chant d’Orphée, de sublimer le paradoxe : Eurydice esseulée parmi les ombres est une femme qui, pour la première fois, agit. Nous sommes au coeur de la « chambre à soi » woolfienne re-interprété par Jelinek : l’obscure solitude, le détachement des dominations, devient par essence le lieu du déploiement du cri lyrique féminin.
Un royaume des ombres qui fait écho aux enjeux qui ont habité Jelinek, « la sauvage », toute sa vie. L’écrivaine vit aujourd’hui presque retirée du monde, ne communiquant que par son site internet et lors de très rares interviews. Eurydice et Jelinek semblent déployer une vibration commune. Comme Christine Lecerf l’évoque dans son article paru dans le quotidien Le Monde en 2016 : « ce qui demeure intact et sans bornes, c’est la colère d’Elfriede Jelinek. La violence faite aux femmes, les structures inviolables de leur domination sociale, politique et artistique, l’asservissement du corps, le mépris de la pensée, l’interdit de création, rien ne change sur ce terrain-là, et ça rend dingue. »
C’est donc un cri du coeur aussi intime que politique que portent de concert Eurydice et Jelinek, et c’est cette parole aussi rare que précieuse qu’il s’agit de faire résonner au plateau.

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